La crise sanitaire interroge les professionnel.les de la petite enfance à propos du développement des jeunes enfants

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Comment l’enfant perçoit les gestes barrières, notamment la distanciation sociale ? Y-a-t-il un risque que l’on entrave son besoin de se sociabiliser et qu’on lui transmette sans le vouloir le message suivant : « attention l’autre est peut-être dangereux » ?

Les études scientifiques ont montré l’importance, le rôle des adultes dans la construction du développement chez l’enfant. En effet, le bébé est un être social qui ne peut se développer sans contact direct avec l’adulte. Il apprend à parler en entendant les sons du langage et en voyant les mouvements de la bouche synchronisés avec les sons.

Avec des adultes au visage « masqué », peu reconnaissables et après une longue période de distanciation, le jeune enfant peut ressentir un fort sentiment d’insécurité.

La proximité sociale est propre à chacun : certains enfants peuvent être demandeurs d’un câlin, d’autres moins voire pas du tout. C’est au professionnel de juger de la pertinence d’un contact avec l’enfant, en se basant sur son besoin de l’instant.

L’enfant construit sa confiance relationnelle par observation et modélisation. Si l’adulte met de la distance, « surprotège », l’enfant peut considérer que l’autre, l’environnement sont hostiles et dangereux.

L’enfant  peut donc développer sur le plus ou moins long terme une représentation de l’autre comme étant quelque chose dont  « je dois me protéger ».

Le contact physique est un élément essentiel de la construction de l’enfant. Le « holding » (portage en français), décrit par Winnicott, permet à l’enfant de se sentir en sécurité par le portage dans les bras, les bercements,… et nourrit sa confiance de base indispensable à la construction d’une sécurité intérieure solide.

Avec le port du masque obligatoire pour les adultes, comment l’enfant décode-t-il les expressions du visage de son interlocuteur ? Est-ce que le masque de l’adulte peut générer du stress chez l’enfant ?

Nous savons effectivement que dès les premières semaines, le nourrisson s’oriente vers le visage de l’adulte et que son sourire est déterminant pour l’accrochage du regard par le tout petit.

Le masque a pour effet de figer une bonne partie du visage et d’en réduire les expressions. Ce n’est certainement pas facilitant pour les enfants de 6 à 12 mois qui construisent leur confiance avec l’adulte.

Ce changement majeur risque de perturber les repères des enfants et de générer de l’insécurité.

Etre vigilants aux très jeunes enfants est une priorité et nécessite une attention particulière fondée sur une observation de leurs signes de bien-être et de mal-être. C’est aussi apporter une réponse adaptée, au plus près de leurs besoins. Un enfant peut ne pas montrer de signes particuliers, s’adapter, voire se suradapter à la situation, pour autant cela peut avoir une incidence importante sur son développement.

Si la mesure du masque est incontournable, il est possible d’essayer d’atténuer son impact. L’essentiel, c’est la reconnaissance d’une personne familière et le maintien d’un lien sécure grâce à la voix, la silhouette, l’odeur, le regard enveloppant et aussi l’intensification de l’expression émotionnelle pour compenser le manque d’informations provoqué par le  visage masqué.

L’enfant va désormais utiliser les intonations et le regard comme système de décodage des expressions et émotions. Cela reste insuffisant et peut créer une sorte de parasite dans la compréhension. Le masque étant un filtre (au sens large), le cerveau de l’enfant n’a pas tous les éléments pour construire sa représentation. Il est donc « encore » plus important pour l’adulte de verbaliser, mettre en mot, son émotion pour que l’enfant associe la bonne émotion.

Le masque en lui-même n’est pas nécessairement générateur de stress. En revanche, c’est davantage la posture de l’adulte, son propre stress, ou la modification de son environnement de vie qui seront sources de stress.

Comment accompagner l’enfant au mieux malgré la situation (masques, stress, protocole d’hygiène) ?

Les enfants vivent comme nous, avec nous toutes les étapes de la crise sanitaire.

Si nous voulons aider les enfants à vivre cette pandémie, il est important de les inviter à discuter, à échanger avec l’adulte sur ce qui les inquiète. Jouer la situation ou la dessiner peut être une alternative intéressante pour certains.

L’enfant peut avoir peur et c’est normal. Cela vient du fait que nous ne contrôlons pas tout dans cette pandémie. L’important, c’est de faire sortir ses émotions.

De plus, il est important de savoir les écouter, de les rassurer.

Verbaliser, nommer ses émotions et surtout amener du jeu et de la joie. Les enfants libèreront davantage leurs peurs, leur stress, leurs angoisses par le rire et le jeu, formidables outils de décharge de stress. La danse et le mouvement sont par exemple de bons moyens de libérer des tensions, y compris pour les adultes ! Retrouver une certaine normalité dans la prise en charge, ne pas focaliser son attention ou l’accueil à travers le prisme des gestes barrières, ne pas tout associer à la crise sanitaire. Par exemple le lavage des mains se fait et s’apprend sans avoir besoin de le mettre en lien avec le covid, l’enfant n’a pas besoin de cette info-là.

Comment travailler au mieux avec ce nouveau quotidien ?

Ce nouveau quotidien consiste à savoir concilier notre protection à tous contre ce virus et à poursuivre notre contribution au développement harmonieux du jeune enfant.

Que faire ? Que proposer ?

  • Se montrer créatifs : des masques transparents existent et tendent à se répandre auprès des professionnels de la petite enfance. Ils permettent de ne pas priver l’enfant de ce qu’il y a de plus précieux : le visage humain.
  • Maintenir un environnement familier avec les rituels (jouets habituels, histoires qu’ils aiment…)
  • Créer de nouveaux rituels comme le lavage des mains qui sera l’occasion de jouer avec l’eau et la mousse. Et aussi les faire participer au lavage des jouets par exemple.
  • En tant que professionnels, organiser des espaces d’échange et d’écoute pour nommer ses émotions, son vécu, ses difficultés. Il est important de ne pas rester seul.
  • En tant que professionnels, c’est aussi avoir de la ressource, remplir son réservoir d’adaptation et prendre soin de soi, clés indispensables pour traverser plus sereinement ce nouveau quotidien (temps d’analyse de pratiques, groupe d’échange, rdv individuel avec les professionnels du RIPAME…)

Au-delà des risques, nous savons combien l’enfant est capable de s’adapter. L’objectif principal est de maintenir une sécurité affective par une bonne qualité de présence et un partage émotionnel.

Il est normal de vouloir faire « parfaitement », et en même temps, faisons de notre mieux en prenant soin de rester autant que possible pleinement en lien avec l’enfant qui a surtout besoin d’adultes bienveillants et sereins autour de lui pour vivre au mieux cette situation inconnue et déroutante.

Pour aller plus loin...

  • Collection de Christine Schuhl:
      •  » Petite enfance et neurosciences » (Re)construire les pratiques.
      •  » Laissons-les expérimenter «  Accompagner la construction des connaissances chez le jeune enfant.
      •  » Enfant, adulte….une relation à construire ».
      •  » Créer et rêver avec le tout-petit ». Animation en petite enfance.
  •  » Petite enfance et pratiques professionnelles  »
  •  » Un virus à deux têtes « ( la famille post-Covid-19) de Sophie Marinopoulos
  •  » Etre mère et professionnelle de la petite enfance «  de Nathalie Jouzeau 

Article réalisé à la demande du RIPAME de Mordelles (Relais Intercommunal Parents Assistants Maternels Enfants) par : 
Angélique GAUDIN, professionnelle de la petite enfance, membre de l’association et Julie FADIER, coach parental-thérapeute familiale,  https://www.jfadiercoachparental.com/coaching-parental

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